Puis un joli chemin sous bois, bordé de mousses, côtoyant un chaos de rochers nommé le « Sautaillot », où le torrent grondeur se fraye avec peine un passage, nous amène à l’étang de Ruffaud.

Près de la rive émerge une petite croix de pierre. Les harmonies du vent dans les pins, l’éternel frisson des eaux bercent ici le souvenir du poète Alexis de Valon qu’une tragique mort surprit en ce lieu.

Le poète avait rapporté d’un voyage en Sicile la légende des âmes réfugiées dans les étoiles.
Une sorcière aurait annoncé sa fin tragique. Voici ce que m’écrivait à ce sujet un de ses parents :
« Vous a‑t‐on parlé de la vieille qui vivait sous le chaume à Gimel, dans le voisinage du torrent… il y a des années ? Interrogez les anciens, là‐bas, ils vous conteront des choses véritablement surprenantes.
« Pauvre Alexis!… doux poète d’étoiles, enfui vers elles pour toujours ! jamais nous ne nous étions quittés… Eh bien ! il avait quatre ans et tomba dans l’étang de Ruffaud ! On le retira. La sorcière, en apprenant l’évènement s’écria : “Pourquoi l’a‑t-on retiré ? Mieux valait l’y laisser…il y retombera et…y restera…”»

Et la lettre amie m’apprenant cette sinistre prédiction, hélas ! réalisée, me revenait à la mémoire en suivant sous le soleil le sentier fleuri. Aux heures nocturnes les vers du poète n’ont jamais murmuré à mes oreilles sur les bords de l’étang, mais, maintes fois, cheminant par la lande, la brise m’apporta, avec le son des cloches du village et les senteurs des bois, comme les accords d’une musique lointaine, si vagues, si effacés que je les percevais à peine. Par moments même je n’entendais plus que les battements de mon cœur. Et pourtant je n’étais pas le jouet de mon hallucination, je l’entendais bien, de temps à autre, cette musique, mais la phrase en était si subtile qu’elle semblait éclore en ma pensée. Ainsi, à certains instants, je pense, doivent voltiger des notes inspirées dans l’âme du musicien.

On entend, dit‐on, parfois aux heures nocturnes, les voix mystérieuses de la nuit murmurer ces vers qu’il composait autrefois :

…Pourquoi dans la nuit sereine

Les étoiles du firmament ?

.….….….….….….….….….

C’est qu’elles marquent le passage

De ceux que nous avons perdus

C’est que chaque étoile est l’image

D’un pauvre cœur qui ne bat plus!…

Déjà plusieurs fois le vol des nuages, le fil de l’eau, les rayons du soir, les fleurs sauvages m’avaient paru exhaler de mystérieuses harmonies.

Gaston Vuillier, « Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze », Le Tour du monde, n° 43, 28 octobre 1899.

Gaston Vuillier nous laisse ici un rare autoportrait, situé au bord de l’étang de Ruffaud dont il nous parle dans « Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze », évoquant le poète Alexis de Valon et son tragique destin.