La beauté du pays…

Arthur Young | Voyages en France en 1787, 1788 et 1789 (1792)

La beauté du pays, qui, entre Saint‐George et Brive, s’étend sur 34 milles, est si variée, et à tous égards, si frappante et intéressante, que je ne m’attacherai pas à une description particulière ; je ferai observer, en général, que je doute fort qu’il y ait rien de comparable en Angleterre ou en Irlande. Il ne s’agit pas d’une belle vue, qui, de temps en temps, arrête l’œil et compense pour le voyageur la monotonie d’un long parcours, mais bien d’une rapide succession de paysages, dont beaucoup seraient rendus célèbres en Angleterre par le concours des voyageurs allant les visiter. Le pays est tout en collines et en vallées ; les collines sont très hautes et chez nous, seraient appelés montagnes, si elles étaient incultes et couvertes de bruyères ; mais, étant cultivées jusqu’à leur sommet, leur grandeur semble un peu diminuée, pour notre vue. Leurs formes sont variées ; elles se dressent en superbes dômes ; elles se projettent en masses abruptes, qui enserrent des gorges profondes ; elles se déploient en amphithéâtre de terres cultivées, dont l’œil perçoit les gradins ; en quelques endroits, ce sont, à la surface, des inégalités ; dans d’autres, l’œil se repose sur des coins de la plus douce verdure. Ajoutez à tout cela la riche robe, avec laquelle la main prodigue de la nature a paré les pentes, que surplombent des bois de châtaigniers. Et, soit que les vallées ouvrent leurs seins verdoyants et permettent au soleil d’éclaircir les rivières, dans leur repos relatif, soit qu’elles se resserrent en gorges profondes, livrant difficilement un passage à l’eau, qui coule sur un lit de rochers et réjouit l’œil par le lustre des cascades, ce sont toujours des scènes intéressantes et caractéristiques. Des vues d’une singulière beauté nous rivent au sol ; vraiment unique est la vue de la ville d’Uzerche, couvrant une montagne conique, au‐dessus de laquelle se dresse un amphithéâtre boisé et qu’entoure à ses pieds une belle rivière. Derry, en Irlande a un peu la même configuration, mais quelques‐uns des plus beaux traits de ce site lui font défaut. De la ville même et immédiatement après qu’on l’a dépassé, les jeux de l’eau sont délicieux. L’immense vue que l’on a en descendant sur Donzenac est également magnifique. Et avec, tout cela, la plus belle route du monde, établie de la façon la plus parfaite, admirablement entretenue, semblable à une allée soignée de jardin, sans poussière, sable, pierres ou inégalités, ferme et nivelée, faite de granit écrasé, et tracée de façon à dominer toujours le paysage, de sorte que, si l’ingénieur n’avait pas eu d’autre objectif, il ne l’aurait pas construite avec un goût plus accompli.

Du haut de la colline, la vue de Brive est si belle que l’on s’attend à trouver une charmante petite ville, et le charme des environs vous confirme dans cet espoir ; mais, quand on y entre, la déception est de nature à vous inspirer un complet dégoût. Des rues étroites, mal bâties, sales, puantes, privent de soleil et presque d’air les maisons ; il n’y a pas d’exception à faire pour quelques‐unes d’entre elles sur la promenade qui sont passables.

Arthur Young, Voyages en France en 1787, 1788 et 1789, Armand Colin, 1931, p.100–101 (disponible sur Gallica).

Dans cet extrait, Arthur Young décrit « la beauté des paysages » qu’il traverse ainsi que l’état des routes entre Saint‐George et Brive. Arrivée à Brive‐la‐Gaillarde, sa déception est grande face aux charmes des environs.