Pendant les soixante ans que j’ai habité Paris ou Londres, dans les courtes visites que j’ai pu faire au pays, j’ai revu bien des fois les lieux où j’ai gardé les troupeaux, et les ruisseaux où je pêchais à la main, les goujons et quelquefois les truites ; mais où je me rendais toujours avec le plus d’agrément, c’était au sommet d’une des trois montagnes qui entourent notre village et que nous appelons le Puy‐Maria. Là, on trouve de nombreuses pierres sur lesquelles la légende croit voir la main de l’ouvrier gaulois.

Dans le nombre, il s’en trouve une beaucoup plus élevée que les autres et remarquable à plusieurs points de vue. On voit d’abord taillé dans le roc un escalier de neuf marches qui conduit le visiteur jusqu’au haut, où on aperçoit deux bassins : le premier qui a une forme elliptique, mesure au petit axe un mètre, et au grand, un mètre cinquante‐sept, et a trente‐deux centimètres de profondeur.

Le plus petit est en forme de circonférence, et mesure dans son diamètre, soixante‐deux centimètres.

Ces deux bassins communiquent par un conduit ayant de dix‐huit à vingt centimètres dans sa plus grande largeur.

C’est là, disent nos villageois et les nombreux touristes qui viennent visiter la pierre mystérieuse, que les Druides faisaient leurs ablations et mettaient à nu les entrailles de leurs victimes. Car, au temps où tous les peuples croyaient aux augures, le sort désignait ceux qui, à la veille d’une guerre ou de tout autre événement intéressant les populations, devaient être livrés aux dieux pour désarmer leur colère. Cependant, à l’époque où l’illustre Vercingétorix combattit avec tant de vaillance contre César, les druides qui, au point de vue des sentiments moraux étaient bien supérieurs aux Romains et aux prétendus chrétiens, n’avaient plus recours à ce genre de sacrifice. Mais, malheur aux vaincus ! Les persécuteurs des Gaulois pour pallier leurs crimes et leurs forfaits ont inventé une légende qui a traversé les siècles et pèse encore sur la mémoire de nos dignes ancêtres. On nous les montre toujours prêts à égorger leurs populations. Les historiens nous révèlent en effet un temps, où la plupart des peuples se livraient aux sacrifices humains.

Ce qui ne parait point douteux, c’est que les Gaulois appliquaient ce genre de peine de mort à leurs criminels, comme nous nous servons aujourd’hui de la guillotine, les Anglais, de la potence, et les Espagnols, de l’écrou.

Du sommet de cette montagne, la vue s’étend sur un espace immense ; on découvre à l’Est, les monts d’Auvergne ; au nord et à l’ouest, les forêts de Guéret et au sud‐ouest, jusqu’aux confins de la Haute‐Vienne.

Contemplé de plus près, notre panorama ne perd rien de sa beauté et continue d’étonner et d’émouvoir la pensée du visiteur.

Au lever du soleil, alors que ses rayons brillent sur cette immensité, le spectacle est ravissant et féerique ; nos champs de blé au moment des moissons ressemblent à une nappe d’or. On est bien près de croire alors à l’existence d’un être suprême, mais on comprend mieux surtout ce cri arraché du cœur de J.-J. Rousseau : « Que la nature est belle et imposante ! »

A quelques centaines de mètres de notre village, coule le Thaurion, rivière assez importante et surtout très poissonneuse, suivant son lit en de riants méandres et fertilisant une grande prairie du château féodal de Pontarion qui fut si fortement éprouvé par quelques sanglantes batailles livrées entre catholiques et protestants, dans cette localité même.

Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon, Bourganeuf, A. Duboueix, imprimeur‐libraire, 1895, p.2–4 (disponible sur Gallica)

Dans ces premières pages de ses Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon, Martin Nadaud revient sur l’un des lieux qu’il aimait à se remémorer lorsqu’il était loin de son pays natal et qu’il retrouvait avec grand plaisir. Tout proche de La Martinèche se trouve le Puy Maria, mont caractérisé par une « curiosité » qu’il s’attache à décrire, selon une approche digne des sociétés savantes de cette époque. Au sommet du Puy Maria en effet se trouvent un ensemble de blocs de granit travaillés par le temps et l’érosion ainsi que la Pierre aux neufs gradins, bloc dans lequel l’homme a sculpté neuf marches et au sommet duquel se trouvent deux vasques dont on ignore si elles sont dues aux hommes ou au travail du temps. Un tel lieu ne peut que se prêter aux légendes et à diverses interprétations.