Plus impitoyable que le temps…

Jules Sandeau | Le Docteur Herbeau (1841)

Plus impitoyable que le temps, M. Riquemont était venu, et, avec ce tact exquis qu’il apportait eu toute chose, il avait remis à neuf et façonné à son image ce vénérable et poétique débris. La fleur de lis de la girouette s’était vue détrônée par un chasseur de fer‐blanc, précédé d’un chien en arrêt. Les murs, dépouillés de leur robe de fleurs et de feuillage, avaient été blanchis à la chaux. L’écusson seigneurial était tombé sous le marteau. M. Riquemont avait fait abattre les tourelles pour anéantir tout vestige de féodalité. Il se vantait d’avoir aboli dans ses domaines la dîme, la corvée et le droit du seigneur. Il avait fait une écurie de la chapelle. Louise avait supplié vainement pour qu’on en fît du moins un colombier. Le château n’avait pas subi à l’intérieur une profanation moins complète. On s’était chauffé tout un hiver avec les boiseries de chêne, et M. Riquemont les avait remplacées par un papier représentant des Chinois en palanquin et des Indiens sur des éléphants.

Jules Sandeau, Le Docteur Herbeau, G. Charpentier, 1882, p.67–68.

L’aménagement de son château par M. Riquemont est l’occasion pour Jules Sandeau de préciser encore combien ce personnage est grossier, rustre, et de signaler, par petites touches, les « ambitions » politiques qui se révèleront à la fin du roman, au moment des journées révolutionnaires de 1830.

En acquérant le château d’un noble ruiné, M. Riquemont avait oublié de s’approprier en même temps la grâce, le savoir‐vivre et les manières élégantes des hôtes qu’il avait remplacés. C’était un de ces campagnards enrichis qui ne parviennent jamais à briser la forme du moule à fromage où Dieu les a coulés, un de ces châtelains d’hier, dont la seigneurie sent toujours un peu l’étable à vaches d’où elle est sortie. Celui‐là sentait l’étable moins encore que l’écurie.

Jules Sandeau, Le Docteur Herbeau, G. Charpentier, 1882, p.16–17.

Le « château » se trouve a priori à environ une heure de cheval de Saint‐Léonard ; là, M. Riquemont possède un domaine qu’il a l’occasion de passer en revue suite à un violent orage.