Et me voici…

Jules Claretie | Journées de vacances (1886)

Et me voici à Limoges, où le théâtre est fermé, où pas un café‐concert n’est ouvert, et où tout le spectacle consiste dans une représentation que doit donner le tambour‐major d’un régiment de ligne, tambour ventriloque dont les talents sont au service des victimes du dernier incendie.
Il y a eu, en effet, un incendie à Limoges. Limoges, avec ses maisons vieilles, construites en bois, semble condamné à périr par le feu. A tout instant une maison brûle. L’habitude date de longtemps. Limoges a toujours plus ou moins brûlé. En septembre 90, cent quatre‐vingt‐dix‐neuf maisons, un couvent, l’oratoire, le théâtre et le jeu de paume étaient dévorés à la fois. En 1864, on sait le désastre terrible. Depuis, le feu a pris de côtés et d’autres, mais on s’en inquiète peu. Lorsque l’incendie consume cinq ou six, ou huit maisons, comme il y a quinze jours, ce n’est point la peine d’en parler. Les Limousins sont enchantés même, je le dis entre nous, de voir disparaître des masures qui sont, je l’avoue, plus pittoresques qu’agréables.
Quels coins stupéfiants que la rue des Roches, la rue du Rajat, que peu de Limousins connaissent ! Quelle cité bizarre que la Bessaille, où le terrain à pic descend vers la Vienne. Mais ce n’est point de ces rues qu’on s’occupe.

Jules Claretie, Journées de vacances, E. Dentu, 1886, p.383.

Jules Claretie est de retour à Limoges, et se remémore notamment l’incendie qui en 1864 dévasta tout un ensemble d’habitations du quartier des Arènes. Reconstruit par la suite, ce secteur correspond aux rues qui actuellement relient la place de la Motte à la place d’Aine. L’incendie est notamment représenté par Léonard Saquet sur une toile de 1865, exposée au musée des Beaux‐arts de Limoges.

Cette évocation permet à l’auteur de saluer la reconstruction moderniste qui découle des feux qui touchent la vieille ville, et de faire allusion à l’habitat pittoresque du quartier de l’Abbessaille, qui lui est toujours debout.

Le géographe Malte‐Brun évoque aussi cette idée dans sa monumentale France illustrée :

L’incendie qui, en 1864, détruisit tout un quartier, a eu du moins ce résultat de doter la ville d’un quartier neuf ; depuis, elle s’est bien embellie : des quartiers entiers ont été reconstruits et, aux abords de la ville, sur les promenades s’élèvent aujourd’hui de belles et agréables habitations.

Victor Adolphe Malte‐Brun, La France illustrée, Ed. Jules Rouff, 1881–1884, p.18.