J’avais dix‐huit ans…
Jean Giraudoux | Suzanne et le Pacifique (1921)
Protagoniste et narratrice de cette aventure, Suzanne est une jeune femme rêvant de voyage depuis les fenêtres de sa maison de Bellac, petite ville tranquille, voire quelque peu figée…
Les petites villes ne sont point des miroirs déformants. Les vertus, les mouvements de l’univers ne se reflétaient dans Bellac qu’ordonnés, et si visibles qu’ils étaient inoffensifs. Janvier y était toujours froid, août toujours torride, chaque voisin n’avait à la fois qu’une qualité ou qu’un vice ; et nous apprenions à connaître le monde, comme il le faut, en l’épelant, par saisons et par sentiments séparés. Chacune de ces maisons bien crépites était dans la rue une note, avarice, vanité, gourmandise : pas de dièse, pas de bémol ; pas de gourmand‐avare, de vaniteux‐modeste ; insensibles, nous frappions à tour de bras sur chacun, ou nous amusant, comme à notre piano le jour que nous avions pris le morceau où l’on croise les mains, à des visites alternées, de l’avare au prodigue, de l’envieux au satisfait…
Jean Giraudoux, Suzanne et le Pacifique, Le Livre de poche, 1997, p.45.
Bibliographie
Florence Delay, « Suzanne ou la prose de Giraudoux », La Croix, 10 juillet 2015 (accessible en ligne).