En disant ces derniers mots…

Honoré de Balzac | Le Curé de village (1839)

En disant ces derniers mots, le prêtre et madame Graslin s’étaient retournés pour revenir sur leurs pas vers les plaines, et le curé put montrer et le village au bas de la colline, et le château dominant le paysage. Il était alors quatre heures et demie. Un rayon de soleil jaunâtre enveloppait la balustrade, les jardins, illuminait le château, faisait briller le dessin des acrotères en fonte dorée, il éclairait la longue plaine partagée par la route, triste ruban gris qui n’avait pas ce feston que partout ailleurs les arbres y brodent les deux côtés. Quand Véronique et monsieur Bonnet eurent dépassé la masse du château, ils purent voir par‐dessus la cour, les écuries et les communs, la forêt de Montégnac sur laquelle cette lueur glissait comme une caresse. Quoique ce dernier éclat du soleil couchant n’atteignît que les cimes, il permettait encore de voir parfaitement, depuis la colline où se trouve Montégnac jusqu’au premier pic de la chaîne des monts Corréziens, les caprices de la magnifique tapisserie que fait une forêt en automne. Les chênes formaient des masses de bronze florentin ; les noyers, les châtaigniers offraient leurs tons de vert‐de‐gris ; les arbres hâtifs brillaient par leur feuillage d’or, et toutes ces couleurs étaient nuancées par des places grises incultes. Les troncs des arbres entièrement dépouillés de feuilles montraient leurs colonnades blanchâtres. Ces couleurs rousses, fauves, grises, artistement fondues par les reflets pâles du soleil d’octobre, s’harmoniaient à cette plaine infertile, à cette immense jachère, verdâtre comme une eau stagnante. Une pensée du prêtre allait commenter ce beau spectacle, muet d’ailleurs : pas un arbre, pas un oiseau, la mort dans la plaine, le silence dans la forêt ; çà et là, quelques fumées dans les chaumières du village.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.254–255.

L’abbé Bonnet est le guide de Véronique Graslin, l’invitant à s’investir pleinement dans l’enrichissement de son domaine et de sa population, lui indiquant, grâce à la tapisserie de couleurs que dessinent l’automne sur la forêt de Montégnac (pour la localisation de Montégnac, voir ici), les caprices du Gabou, rivière qui se fait par endroits souterraine, et les travaux d’irrigation nécessaires pour rendre la culture et, conséquemment l’élevage possibles.

– Vous ne remarquez pas, dit‐il en devinant dans ce regard l’ignorance de Véronique, des lignes où les arbres de toute espèce sont encore verts ? – Ah ! c’est vrai, s’écria-t-elle. Pourquoi ? – Là, reprit le curé, se trouve la fortune de Montégnac et la vôtre, une immense fortune que j’avais signalée à monsieur Graslin. Vous voyez les sillons de trois vallées, dont les eaux se perdent dans le torrent du Gabou. Ce torrent sépare la forêt de Montégnac de la Commune qui, de ce côté, touche à la nôtre. À sec en septembre et octobre, en novembre il donne beaucoup d’eau. Son eau, dont la masse serait facilement augmentée par des travaux dans la forêt, afin de ne rien laisser perdre et de réunir les plus petites sources, cette eau ne sert à rien ; mais faites entre les deux collines du torrent un ou deux barrages pour la retenir, pour la conserver, comme a fait Riquet à Saint‐Ferréol, où l’on pratiqua d’immenses réservoirs pour alimenter le canal du Languedoc, vous allez fertiliser cette plaine inculte avec de l’eau sagement distribuée dans des rigoles maintenues par des vannes, laquelle se boirait en temps utile dans ces terres, et dont le trop‐plein serait d’ailleurs dirigé vers notre petite rivière. Vous aurez de beaux peupliers le long de tous vos canaux, et vous élèverez des bestiaux dans les plus belles prairies possibles. Qu’est-ce que l’herbe ? du soleil et de l’eau. Il y a bien assez de terre dans ces plaines pour les racines du gramen ; les eaux fourniront des rosées qui féconderont le sol, les peupliers s’en nourriront et arrêteront les brouillards, dont les principes seront pompés par toutes les plantes : tels sont les secrets de la belle végétation dans les vallées. Vous verrez un jour la vie, la joie, le mouvement, là où règne le silence, là où le regard s’attriste de l’infécondité.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.256–258.

L’abbé Bonnet, outre son rôle de guide spirituel et moral auprès de la population et de Véronique, apparaît comme une espèce d’archétype, très XIXe, du personnage techniciste, riche de lectures de nombreuses revues scientifiques, et pouvant de ce fait se targuer de pouvoir plier la nature à ses désirs.