Au mois de juin…

Honoré de Balzac | Le Curé de village (1839)

Au mois de juin, le torrent du Gabou étant à sec, monsieur Gérard s’installa dans la maison du garde. Farrabesche avait déjà fait bâtir sa ferme du Gabou. Cinquante maçons, revenus de Paris, réunirent les deux montagnes par une muraille de vingt pieds d’épaisseur, fondée à douze pieds de profondeur sur un massif en béton. La muraille, d’environ soixante pieds d’élévation, allait en diminuant, elle n’avait plus que dix pieds à son couronnement. Gérard y adossa, du côté de la vallée, un talus en béton, de douze pieds à sa base. Du côté des communaux, un talus semblable recouvert de quelques pieds de terre végétale appuya ce formidable ouvrage, que les eaux ne pouvaient renverser. L’ingénieur ménagea, en cas de pluies trop abondantes, un déversoir à une hauteur convenable. La maçonnerie fut poussée dans chaque montagne jusqu’au tuf ou jusqu’au granit, afin que l’eau ne trouvât aucune issue par les côtés. Ce barrage fut terminé vers le milieu du mois d’août. En même temps, Gérard prépara trois canaux dans les trois principaux vallons, et aucun de ces ouvrages n’atteignit au chiffre de ses devis. Ainsi la ferme du château put être achevée. Les travaux d’irrigation dans la plaine conduits par Fresquin correspondaient au canal tracé par la nature au bas de la chaîne des montagnes du côté de la plaine, et d’où partirent les rigoles d’arrosement. Des vannes furent adaptées aux fossés que l’abondance des cailloux avait permis d’empierrer, afin de tenir dans la plaine les eaux à des niveaux convenables.

[…] L’hiver de 1833 à 1834 fut très pluvieux. L’eau des trois sources qui avaient été dirigées vers le torrent et l’eau des pluies convertirent la vallée du Gabou en trois étangs, étagés avec prévoyance afin de créer une réserve pour les grandes sécheresses. Aux endroits où la vallée s’élargissait, Gérard avait profité de quelques monticules pour en faire des îles qui furent plantées en arbres variés. Cette vaste opération changea complètement le paysage ; mais il fallait cinq ou six années pour qu’il eût sa vraie physionomie. «– Le pays était tout nu, disait Farrabesche, et Madame vient de l’habiller. »

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.415–417.

– Et l’année prochaine, à pareil jour, jamais il ne passera plus par là une goutte d’eau. Je suis chez moi de l’un et l’autre côté, je ferai bâtir une muraille assez solide, assez haute pour arrêter les eaux. Au lieu d’une vallée qui ne rapporte rien, j’aurai un lac de vingt, trente, quarante ou cinquante pieds de profondeur, sur une étendue d’une lieue, un immense réservoir qui fournira l’eau des irrigations avec laquelle je fertiliserai toute la plaine de Montégnac.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.309.

Sur les recommandations de l’abbé Bonnet, avec l’aide du peu recommandable Farrabesche et avec l’expertise de l’ingénieur Gérard, Véronique Graslin réalise donc d’importants travaux d’irrigation permettant à Montégnac (pour la localisation de Montégnac, voir ici) d’accéder à la prospérité en moins d’une décennie. Surtout, cette réussite donne d’autres idées à l’ingénieur :

L’ingénieur, enhardi par tant de succès, conçut un projet de nature à rendre colossale la fortune de madame Graslin, qui rentra cette année dans la possession des rentes engagées pour solder son emprunt. Il voulait canaliser la petite rivière, en y jetant les eaux surabondantes du Gabou. Ce canal, qui devait aller gagner la Vienne, permettrait d’exploiter les vingt mille arpents de l’immense forêt de Montégnac, admirablement entretenue par Colorat, et qui, faute de moyens de transport, ne donnait aucun revenu. On pouvait couper mille arpents par année en aménageant à vingt ans, et diriger ainsi sur Limoges de précieux bois de construction.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.421–422.