Le Curé de village

Honoré de Balzac – 1839

Le Curé de village est un roman d’Honoré de Balzac d’abord publié en trois livraisons dans le journal La Presse en 1839 et que l’auteur remanie à plusieurs reprises pour les éditions en volume, la première datant de 1841.

Le Curé de village est le récit de l’enfance choyée de Véronique Sauviat puis de son triste mariage, d’un crime qui défraie la chronique et affole la société limougeaude suivi de la mise à mort du condamné et enfin de la longue expiation de Véronique.

Les Sauviat, couple d’Auvergnats installé à Limoges comme ferrailleurs et chaudronniers, ne trahissent guère la réputation attachée à cette contrée. Durs en affaires, économes, illettrés mais dotés d’une mémoire et d’un sens des chiffres hors du commun, les Sauviat prospèrent et espèrent offrir un riche parti à leur fille unique Véronique, née en mai 1802, le plus bel enfant de la basse‐ville, élevée chrétiennement et qui à neuf ans, […] étonna le quartier par sa beauté mais qui la vit gâtée par la petite vérole contractée à l’âge de 11 ans.

Véronique ne perdit pas non plus l’élégance et la beauté de son corps, ni la plénitude de ses lignes, ni la grâce de sa taille. Elle fut à quinze ans une belle personne, et ce qui consola les Sauviat, une sainte et bonne fille, occupée, travailleuse, sédentaire. […] Le père et la mère furent heureux de la modestie de leur fille, qui n’eut aucun goût ruineux.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.23–24.

Mélancolique, animée d’un fort sentiment religieux, Balzac la corrompt à la lecture du roman Paul et Virginie, l’un des plus touchants livres de la langue française :

La peinture de ce mutuel amour, à demi biblique et digne des premiers âges du monde, ravagea le cœur de Véronique. Une main, doit‐on dire divine ou diabolique, enleva le voile qui jusqu’alors lui avait couvert la Nature. La petite vierge enfouie dans la belle fille trouva le lendemain ses fleurs plus belles qu’elles ne l’étaient la veille, elle entendit leur langage symbolique, elle examina l’azur du ciel avec une fixité pleine d’exaltation ; et des larmes roulèrent alors sans cause dans ses yeux. […] Pour toute autre, cette lecture eût été sans danger ; pour elle, ce livre fut pire qu’un livre obscène. La corruption est relative. Il est des natures vierges et sublimes qu’une seule pensée corrompt, elle y fait d’autant plus de dégâts que la nécessité d’une résistance n’a pas été prévue.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.33–34.

Forte d’une dot conséquente (presque toute la fortune de son père, sept cent cinquante mille francs), Véronique se marie à un riche banquier, M. Graslin. Dans leur belle maison de la place des Arbres, Véronique reçoit mais très vite s’échappe de cette société, tombe dans la solitude et dépérit.

Elle sentit une horrible répugnance à tomber dans le gouffre de petitesses où tournaient les femmes parmi lesquelles elle était forcée de vivre. Ce dédain écrit sur son front, sur ses lèvres, et mal déguisé, fut pris pour l’insolence d’une parvenue. […]
Malheureuse dans toutes ses tentatives, mal jugée, repoussée par l’orgueil bas et taquin qui distingue la société de province, où chacun est toujours armé de prétentions et d’inquiétudes, madame Graslin rentra dans la plus profonde solitude.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.66–67.

Vient un moment cependant où Véronique Graslin retrouve goût à la vie et reçoit cinq fois par semaine, ne tenant salon qu’avec les hommes de Limoges de quelque importance et des femmes, parisiennes de préférence.
C’est à cette époque que tout Limoges en vient à être bouleversé par le vol et le crime du vieux Pingret et de sa servante, dans le faubourg Saint‐Étienne. Balzac fait de ce double homicide une triste conséquence de la peine de mort :

Pingret fut assassiné, pendant une nuit noire, au milieu d’un carré de luzerne où il ajoutait sans doute quelques louis à un pot plein d’or. La servante, réveillée par la lutte, avait eu le courage de venir au secours du vieil avare, et le meurtrier s’était trouvé dans l’obligation de la tuer pour supprimer son témoignage. Ce calcul, qui détermine presque toujours les assassins à augmenter le nombre de leurs victimes, est un malheur engendré par la peine capitale qu’ils ont en perspective.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.94.

Très vite le coupable est identifié ; il s’agit de Jean‐François Tascheron, un ouvrier porcelainier dont la conduite [était] excellente et qui devait faire fortune, originaire de Montégnac, bourg à la sulfureuse réputation (lieu imaginaire à la localisation délicate) :

Jean‐François Tascheron était fils d’un petit fermier chargé de famille qui habitait le bourg de Montégnac. Vingt ans avant ce crime, devenu célèbre en Limousin, le canton de Montégnac se recommandait par ses mauvaises mœurs. Le parquet de Limoges disait proverbialement que sur cent condamnés du Département, cinquante appartenaient à l’Arrondissement d’où dépendait Montégnac. Depuis 1816, deux ans après l’envoi du curé Bonnet, Montégnac avait perdu sa triste réputation, ses habitants avaient cessé d’envoyer leur contingent aux Assises. Ce changement fut attribué généralement à l’influence que monsieur Bonnet exerçait sur cette Commune, jadis le foyer des mauvais sujets qui désolèrent la contrée. Le crime de Jean‐François Tascheron rendit tout à coup à Montégnac son ancienne renommée.

Honoré de Balzac, Le Curé de village, Bibliothèque électronique du Québec, p.101.

L’Église alors souhaite utiliser le cas pour mettre en avant son pouvoir sur les conscience, être au‐dessus de la Justice. Il s’agit donc de faire venir l’abbé Bonnet, installé à Montégnac.

Une fois devenue veuve, Véronique quitte Limoges pour s’installer à Montégnac. Double expiation d’une certaine façon puisque Véronique, au‐delà de sa piété et des actes de contrition, s’attachera à rendre fertiles des terres jusqu’alors inexploitées et à faire de la misère de « ses gens » un lointain souvenir.

Le Curé de campagne doit sans aucun doute beaucoup à l’accueil que la famille Nivet a réservé à son auteur, le logeant dans leur maison de la rue des Combes, lui faisant visiter la ville… De même, c’est à l’occasion de ses séjours limougeauds et de ses voyages qu’il peut se familiariser avec la campagne limousine, comme le dit Alfred Fray‐Fournier :

Un matin du mois de septembre 1832, sur les six heures, l’antique patache qui faisait le service régulier d’Angoulême à Limoges s’arrêta comme de coutume sur la place Dauphine, devant le bureau des messageries. Un étranger en descendit et fut reçu par un homme jeune encore, qui le conduisit aussitôt au domicile de la famille Nivet. Cet étranger, qui venait à Limoges pour la première fois, était Honoré de Balzac, le romancier déjà célèbre et qui ambitionnait de prendre rang parmi ceux que Victor Hugo appelait « les maréchaux des lettres ».

Alfred Fray‐Fournier, Balzac à Limoges, p.6.

Il est vraisemblable que ce fut au cours de l’une de ses visites à la famille Nivet que l’occasion lui fut offerte d’explorer la région située à l’est de notre département, entre Saint‐Léonard et la limite de la Creuse. Dans la description qu’il en a donnée en un livre dont il va être parlé, il en a exprimé exactement le caractère général et les traits particuliers. On sent que tous les aspects de cette contrée se sont fixés dans son imagination. On ne dépeint pas ainsi les sites pittoresques, les beautés et les ressources naturelles d’un pays, et jusqu’aux mœurs de ses habitants sans les avoir eus sous les yeux, sans les avoir étudiés de près.

Alfred Fray‐Fournier, Balzac à Limoges, p.10.

Dans le Bas-Limoges...

Dans le Bas‐Limoges, au coin de la rue de la Vieille‐Poste et de la rue de la Cité, se trouvait, il y a trente ans, une de ces boutiques auxquelles il semble que rien n’ait été changé depuis le moyen âge. De grandes dalles cassées en mille endroits, posées sur le sol qui se montrait humide par places, auraient fait tomber quiconque n’eût pas observé les creux et les élévations de ce singulier carrelage. Les murs poudreux laissaient voir une bizarre mosaïqu…

Ces événements...

Ces événements, pressés, tordus dans les salons, dans les ménages, commentés de mille manières, épluchés par les plus habiles langues de la ville, donnèrent un cruel intérêt à l’exécution du criminel, dont le pourvoi fut, deux mois après, rejeté par la Cour suprême. Quelle serait à ses derniers moments l’attitude du criminel, qui se vantait de rendre son supplice impossible en annonçant une défense désespérée ? Parlerait‐il ? se démentirait‐il ? qui gagnerait…

Le palais épiscopal de Limoges...

Le palais épiscopal de Limoges est assis sur une colline qui borde la Vienne, et ses jardins, que soutiennent de fortes murailles couronnées de balustrades, descendent par étages en obéissant aux chutes naturelles du terrain. L’élévation de cette colline est telle, que, sur la rive opposée, le faubourg Saint‐Étienne semble couché au pied de la dernière terrasse. De là, selon la direction que prennent les promeneurs, la rivière se découvre, soit en enfilade…

Une route départementale...

Une route départementale, récemment faite, enfilait cette plaine à un point de bifurcation sur la grande route. Après quelques lieues, se trouvait au pied d’une colline, comme son nom l’indiquait, Montégnac, chef‐lieu d’un canton où commence un des arrondissements de la Haute‐Vienne. La colline dépend de Montégnac qui réunit dans sa circonscription la nature montagnarde et la nature des plaines. Cette Commune est une petite Écosse avec ses basses et ses ha…

En disant ces derniers mots...

En disant ces derniers mots, le prêtre et madame Graslin s’étaient retournés pour revenir sur leurs pas vers les plaines, et le curé put montrer et le village au bas de la colline, et le château dominant le paysage. Il était alors quatre heures et demie. Un rayon de soleil jaunâtre enveloppait la balustrade, les jardins, illuminait le château, faisait briller le dessin des acrotères en fonte dorée, il éclairait la longue plaine partagée par la route, trist…

Au mois de juin...

Au mois de juin, le torrent du Gabou étant à sec, monsieur Gérard s’installa dans la maison du garde. Farrabesche avait déjà fait bâtir sa ferme du Gabou. Cinquante maçons, revenus de Paris, réunirent les deux montagnes par une muraille de vingt pieds d’épaisseur, fondée à douze pieds de profondeur sur un massif en béton. La muraille, d’environ soixante pieds d’élévation, allait en diminuant, elle n’avait plus que dix pieds à son couronnement. Gérard y ado…