Si on domine le camp de La Courtine, par exemple en avion, on voit, en ce temps‐là, l’encerclement qui se resserre sous le commandement suprême du général Beliaev. Premier cercle : trois bataillons, trois compagnies de mitrailleuses et quatre batteries — tout cela : troupes russes et canons français. Deuxième cercle : troupes françaises : 19e, 78e, 82e et 105e régiments de ligne, cavalerie et artillerie. Le 14 septembre, sort un dernier ultimatum du général Beliaev. Il est repoussé. On évacue la population civile du village de La Courtine autour duquel s’amasse l’orage réfléchi, le cataclysme organisé.

C’est ici que se place le meeting des condamnés à mort que j’ai arraché à l’ensemble pour le montrer tout d’abord. Remémorons‐nous vite les phases de cette image en mouvement. Puis, le bombardement commence, deux musiciens écrasés, huit hommes. L’ennemi a creusé des tranchées tout autour de La Courtine. On attaque méthodiquement ces onze mille hommes qui n’ont pas les moyens de se défendre, qui ont fait le deuil de leur vie, non de leur idéal. Cela dure cinq jours avec toutes les horreurs de la guerre, y compris les assassinats individuels commis par les officiers sans aucun autre mobile que la fureur et le sadisme, et y compris le pillage. Les derniers soldats sont pris à la baïonnette. Plusieurs centaines furent tués, plus encore blessés, huit cents disparurent. Sur onze mille, il en reste un peu plus de huit mille. On ne peut pas savoir exactement le nombre des tués parce qu’on les a enterrés la nuit, clandestinement, et qu’on a fait disparaître la trace des tombes. Aujourd’hui encore, on ne sait pas si on marche dessus.
On a entassé des cargaisons de survivants dans ces cachots obscurs, malsains et puants que sont les cales de transports, pour les expédier en Afrique.

Henri Barbusse, Faits divers, Flammarion, 1928, p.108–109.