Après une heure de marche…
George Sand | Le Péché de monsieur Antoine (1845)
Si, dans un premier temps, Crozant se prête bien à l’état d’esprit d’Émile, à sa langueur, à sa tristesse, les ruines de la forteresse, dans ce site majestueux, prennent bien vite une toute autre dimension : le hasard l’y fait retrouver monsieur Antoine et sa fille Gilberte, à qui il va avouer la passion qui le dévore.
Jamais il ne s’était senti si gai lui‐même ; jamais il n’avait vu un plus beau jour que cette pâle journée de septembre, un site plus riant et plus enchanté que cette sombre forteresse de Crozant !
George Sand, Le Péché de monsieur Antoine.
Mais, ce site n’est pas du goût de tous. Ainsi, il convient de souhaiter que Constant Galuchet, employé du père d’Émile, prenne la truite qu’il vient pêcher dans « ce vilain endroit », à défaut de quoi :
— Je maudirai encore plus l’idée que j’ai eue de venir si loin pour voir une pareille masure. Quelle horreur, monsieur ! Peut‐on voir un plus triste pays et un château en plus mauvais état ? Croyez donc, après cela, les voyageurs qui vous disent que c’est superbe, et qu’on ne peut pas vivre aux bords de la Creuse sans avoir vu Crozant ! À moins qu’il n’y ait du poisson dans cette rivière, je veux être pendu si l’on m’y rattrape. Mais je n’y crois pas à leur rivière ; cette eau transparente est détestable pour pêcher à la ligne, et ce bruit continuel vous casse la tête. J’en ai la migraine. — Je vois que vous avez fait une promenade peu agréable, dit Gilberte, qui voyait pour la première fois la ridicule figure de Galuchet, et à qui ses dédains prosaïques donnaient une forte envie de rire. Cependant ces ruines font un grand effet, convenez‐en ; elles sont singulières au moins ! Êtes‐vous monté jusqu’à la grande tour ? — Dieu m’en préserve, mademoiselle ! répondit Galuchet, flatté de l’interpellation de Gilberte, qu’il regardait de toute la largeur de ses yeux ronds, remarquablement écartés, et séparés par un petit bouquet de sourcils fauves assez bizarre. Je vois d’ici l’intérieur de la baraque, puisqu’elle est tout à jour comme un réverbère, et je ne crois pas que cela vaille la peine de se casser le cou.
George Sand, Le Péché de monsieur Antoine.