La ville de Boussac…

George Sand | Jeanne (1844)

La ville de Boussac, formant, avec le bourg du même nom, une population de dix‐huit à dix‐neuf cents âmes, peut être considérée comme une des plus chétives et des plus laides sous‐préfectures du centre. Ce n’est pourtant pas l’avis du narrateur de cette histoire. Jeté sur des collines abruptes, le long de la Petite‐Creuse, au confluent d’un autre ruisseau rapide, Boussac offre un assemblage de maisons, de rochers, de torrents, de rues mal agencées, et de chemins escarpés, qui lui donnent une physionomie très pittoresque. […] Boussac a le bon goût de se lier si bien au sol, qu’on y peut faire une belle étude de paysage à chaque pas en pleine rue. Mais il se passera bien du temps avant que les citadins de nos provinces comprennent que la végétation, la perspective, le mouvement du terrain, le bruit du torrent et les masses granitiques font partie essentielle de la beauté des villes qui ne peuvent prétendre à briller par leurs monuments.

Il y a cependant un monument à Boussac, c’est le château d’origine romaine que Jean de Brosse, le fameux maréchal de Boussac, fit reconstruire en 1400 à la mode de son temps. Il est irrégulier, gracieux et coquet dans sa simplicité. Cependant les murs ont dix pieds d’épaisseur, et dès qu’on franchit le seuil, on trouve que l’intérieur a la mauvaise mine de tous ces grands brigands du moyen âge que nous voyons dans nos provinces dresser encore fièrement la tête sur toutes les hauteurs.

Ce château est moitié à la ville et moitié à la campagne. La cour et la façade armoriée regardent la ville ; mais l’autre face plonge avec le roc perpendiculaire qui la porte jusqu’au lit de la Petite‐Creuse, et domine un site admirable, le cours sinueux du torrent encaissé dans les rochers, d’immenses prairies semées de châtaigniers, un vaste horizon, une profondeur à donner des vertiges. Le château, avec ses fortifications, ferme la ville de ce côté‐là. Les fortifications subsistent encore, la ville ne les a pas franchies, et la dernière dame de Boussac, mère de notre héros, le jeune baron Guillaume de Boussac, passait de son jardin dans la campagne, ou de sa cour dans la ville, à volonté.

George Sand, Jeanne, Bibliothèque électronique du Québec, p.240–243.

George Sand propose ici une description de la ville de Boussac qui semble n’avoir d’intérêt autre que champêtre mais que l’auteure trouve pourtant bien à son goût. Ensuite, elle s’attache au château qui surplombe la Petite Creuse et où elle est accueillie quelques années après l’écriture de Jeanne, en 1870, après avoir quitté Nohant fuyant et la guerre et l’épidémie de variole qui y sévit. Elle rend compte de son séjour creusois dans le Journal d’un voyageur pendant la guerre.