Mais la merveille de Beaulieu

Gaston Vuillier | En Limousin (paysages et récits) (1893)

Mais la merveille de Beaulieu, c’est l’église avec son portail d’une sauvage beauté. Quand je l’ai vue, le jour était sombre, d’épaisses nuées obscurcissaient le ciel.

La vieille basilique, au clocher d’allure guerrière, au portail où des figures singulières semblaient se mouvoir, m’a fortement impressionné.

Un Christ, grand comme une apparition, étrange comme les conceptions byzantines, est là, raide et sévère ; c’est bien le juge inexorable. Ce sujet marque le moyen‐âge et donne une forme aux protestations indignées de la conscience publique contre la tyrannie, les injustices et la cruauté qui désolaient le monde. C’est le jugement et surtout la condamnation des criminels et des infâmes. Vers ce Christ les apôtres accourent ; à l’appel des trompettes, les morts soulèvent les dalles de leurs tombeaux. Au‐dessous, tout le long du linteau, sur une mer de feu qui représente l’enfer, rampent des monstres. Un pilier symbolique partage le portail en deux baies, les colonnettes des montants sont mordues par des lionceaux. Saint‐Pierre et Saint‐Paul, patrons de l’Église chrétienne, se détachent du plein des jambages. Le trumeau superbe est orné de colonnettes brisées en festons encadrant le grand prophète Daniel, les pieds sur deux lions. Le grand prophète de l’Ancien Testament fait ainsi pendant à Pierre et à Paul, montrant l’accord de l’ancienne et de la nouvelle Église.

L’art venait de naître et déjà il faisait parler éloquemment la pierre. Ce portail est l’un des plus curieux monuments du centre de la France.

Gaston Vuillier, « En Limousin (paysages et récits)», Le Tour du monde, n° 5–6, février 1893.

En septembre 1892, Gaston Vuillier fait la découverte de Beaulieu‐sur‐Dordogne à l’occasion d’un long voyage à travers la Corrèze. Il entre dans la région en train, en longeant le Quercy jusqu’à apercevoir Brive et Turenne. Puis, près de Martel il quitte le train pour la diligence qui dessert le village de Beaulieu. À peine arrivé, il s’émerveille à la vue de ce village :

Quelle petite ville gracieuse et originale que Beaulieu avec ses vieilles maisons bâties au hasard, ses rues cahoteuses, ses ruelles, ses carrefours et la majestueuse rivière qui s’étale et qui glisse très lentement à ses pieds !

Partout de vieux balcons, des toitures bizarres, des treilles courant en guirlandes le long des murs, traversant même la rue, grimpant aux balustrades, assiégeant les auvents, encadrant les fenêtres pour retomber en élégants pendentifs. Et dans ce chaos de pierres, de tuiles, de vieilles boiseries, s’ouvrent des fenêtres à meneaux en croix et d’antiques portes à nervures dont l’ogive est surmontée d’un écusson.

Gaston Vuillier, « En Limousin (paysages et récits)», Le Tour du monde, n° 5–6, février 1893.

Surtout, il est frappé par la vue de l’abbaye Saint‐Pierre et de son tympan : le tympan du portail méridional, ou portail sud, de l’abbaye de Beaulieu représente la seconde Parousie, c’est à dire le retour du Christ à la fin des temps, juste avant le jugement dernier. Cet épisode est relaté dans l’Évangile de Mathieu (chapitres 24–25). Le tympan a été réalisé vers 1130 par des artistes, des « tailleurs d’images », originaires de Toulouse et qui œuvrèrent également à Moissac, Souillac et Collonges. L’image, composée de deux parties, se lit de haut en bas. Sous la voûte se tient le monde céleste alors que dans la partie inférieure prend place le monde terrestre inscrit sur deux frises occupant le bas du tympan et le linteau. Le monde céleste se compose du Christ, de ses anges et de ses apôtres, alors que le monde terrestre est illustré par l’enfer. Le Christ est représenté en majesté, siégeant sur son trône, les bras ouverts en signe d’accueil mais aussi en écho à la croix placée derrière lui. Autour du Christ sont placés six anges musiciens qui portent la croix, les clous de la Passion ainsi qu’une couronne. Tout autour se tiennent les apôtres en discussion. En dessous, aux pieds du Christ, des morts réveillés par le son des trompettes, sortent de leur tombeau pour assister au jugement dernier tandis que des juifs montrent leur circoncision. Dans les deux frises inférieures, le monde de l’enfer est occupé par les monstres de l’apocalypse, sortant d’une bouche enflammée pour venir emporter les damnés. Sous le linteau, le trumeau central évoque les trois âges de la vie, et les piédroits présentent saint Pierre et saint Paul, les patrons de l’Église.

Bibliographie

Barbara Franzé, « Art et réforme clunisienne : le porche sculpté de Beaulieu‐sur‐Dordogne », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, n° 18.2, 2014 (disponible en ligne).

Frédéric Le Hech, Histoire de Beaulieu‐sur‐Dordogne et de son pays, Les Ardents Éditeurs, 2010.