Je quitte au jour tombant…
Gaston Vuillier débute véritablement son voyage en Limousin par la petite ville gracieuse et originale qu’est Beaulieu‐sur‐Dordogne où il s’extasie devant la basilique et son portail d’une sauvage beauté ; de là, il se rend à Argentat, en diligence, de nuit, nous renvoyant évidemment aux toiles de Frits Thaulow, La Diligence mais surtout Soirée à Beaulieu.
Le confort et l’agrément de ce voyage contrastent fortement avec le déplacement qu’il entreprend ensuite, au départ d’Argentat, pour se rendre aux Tours de Merle :
J’ai trouvé ici, pour une excursion projetée, certaine carriole de louage sans capote et bien vieille. Je n’ai pas le choix, mais le cocher‐guide qui m’accompagne m’assure que tout est pour le mieux et je me résigne. […] La route monte toujours et nous approchons enfin d’un col car j’entends, vers la lande, les hurlements prolongés du vent ; la pluie commence à tomber. Bientôt les bouleaux qui bordent la route s’inclinent et se redressent sans trêve. Leurs ramures mouillées, pareilles à de grandes chevelures flottantes, nous cinglent au passage. Le conducteur, courbé sur son siège, ne cesse de fouailler sa bête. Nous fuyons en course folle à travers le plateau sablonneux sous la pluie qui fait rage. On n’entend plus que le roulement du véhicule sur la lande, les sifflements du vent, le bruissement des arbustes, le crépitement de la pluie. Toujours courbé sous l’orage, le conducteur, de temps à autre, se retourne à demi, et chaque fois un éclair semble passer dans son regard. Est‐ce un rire, est‐ce une souffrance qui contracte ainsi son visage ? « Hé ! de par le diable, satané cocher de l’enfer ! où me menez‐vous par cette tempête dans ce pays perdu, au bout du monde?…» Il ne répond pas et m’entraine dans une rapide descente. Le véhicule cabote à se briser par la route en lacets à tournants brusques. […] A ce train vertigineux nous arrivons bientôt au fond d’une étroite vallée, et j’aperçois la forteresse de Saint‐Geniès‐ô‐Merle.
Gaston Vuillier, « En Limousin », Le Tour du monde, n° 5, 4 février 1893, p.68–69.