À ce train vertigineux…

Gaston Vuillier | En Limousin (paysages et récits) (1893)

A ce train vertigineux nous arrivons bientôt au fond d’une étroite vallée, et j’aperçois la forteresse de Saint‐Geniès‐ô‐Merle.

Sur les dentelures d’une presqu’île rocheuse de 100 mètres de haut s’élève un amoncellement grandiose fait de donjons, de tours, de pans de murailles écroulées. Un lierre robuste rampe sur ces murailles, il les étreint et les ronge, des arbustes agités s’échappent des créneaux, des herbes folles tremblent sur les remparts, des pierres roulantes encombrent les talus. En dépit du soleil qui la calcine depuis des siècles, du vent qui l’émiette, de l’ouragan qui la secoue, l’antique forteresse résiste encore toute mutilée, avec des blessures béantes.

La torrentueuse Maronne jette une écharpe mouvante autour du rocher qui porte ces ruines altières. La vue de cette forteresse est saisissante par le décor sauvage et désolé qui l’entoure.

Pour atteindre la châtellenie, comme nous courons sur la rive opposée, il faut traverser, au‐dessus d’un abîme, un pont suspendu dont les balancements m’inquiètent. Par un sentier pavé de gros blocs de granit usés nous arrivons au corps de garde. Il reste peu de traces du pont‐levis ; partout, des décombres, des pans de murs, des rochers, des chambres seigneuriales ruinées. Sur une façade percée d’une large baie qui fut une des entrées principales, sept écussons étalent tristement leur champ vide. Plus loin les manteaux des cheminées à arcs surbaissés, à moulures cylindriques, se retrouvent à chaque étage. Certaines murailles portent des traces d’incendie. Sous les voussures des amples fenêtres, je vois les banquettes de pierre où rêvaient les châtelaines, le regard perdu dans le paysage sévère qui de toutes parts, borne l’horizon.

Au milieu des décombres je cueille quelques œillets sauvages, les seuls de cette espèce connus dans la contrée. Quel vent lointain en a porté la semence ? Les fleurs d’un rouge incarnat se balancent avec grâce parmi ces tristes murailles. L’œuvre des hommes dure peu, la nature refleurit toujours, comme une espérance.

Tout le jour, sous la pluie silencieuse et froide, je vais par les salles écroulées du vieux repaire. Quelles furent ses origines ? Nul ne sait. Chaque hiver des parties du château fort s’effondrent dans la gorge solitaire aux mugissements du vent, aux imprécations des eaux grossies qui passent.

En septembre, après sa visite d’Argentat, Gaston Vuillier se fait conduire sous un « ciel menaçant » aux tours de Merle, « une antique forteresse ignorée qu’on [lui] dit d’aspect fantastique et plantée sur un rocher sauvage […] perdue aux confins de la Corrèze et du Cantal, dans un pauvre pays, loin des voies ferrées ». Le trajet s’achève dans des conditions dantesques, le vent, la pluie, les éclairs rendant cette bâtisse encore plus remarquable.