En Limousin (paysages et récits)

Gaston Vuillier – 1893

En 1893, Gaston Vuillier publie dans la revue Le Tour du monde le reportage « En Limousin », qui se présente comme un carnet de route présentant les sites les plus spectaculaires de la Corrèze, son séjour l’ayant amené d’Argentat à Naves, en passant notamment par Tulle, Uzerches et Gimel.

À la riche description de paysages chaotiques, Gaston Vuillier ajoute la présence humaine à travers d’originales rencontres qui viennent conter et illustrer l’histoire de cette contrée. La Corrèze et ses vestiges façonnés par le temps, répondent à l’esthétique du Sublime et à la poétique des ruines. Cette vision, exaltée par les textes de Burke et de Kant est sensible aux déchaînements de la nature. Le paysage doit susciter l’enthousiasme, la passion et la peur. Le Sublime est ce qui nous menace dans notre intégrité physique. Plus le danger est présent, plus le paysage est sublime. Alors qu’Edmund Burke voit la terreur comme un élément nécessaire au Sublime, Emmanuel Kant parle de « choses terribles contemplées en sécurité » avant d’avancer que « le Sublime n’est pas dans la nature mais dans notre esprit ».
En Limousin, cette vision est illustrée par Gaston Vuillier. L’artiste aime à décrire la violence des cascades de Gimel, qui précipitent en leur fond les animaux imprudents. Ces chutes évoquent l’infiniment petit devant l’infiniment grand. Face à ces 42 mètres, c’est la perte de repères que fait ressentir le Sublime. C’est une contemplation des forces de la nature face à la fragilité humaine. Et, devant l’Inferno de Gimel, on ne peut que penser à l’enfer de Gustave Doré illustrant la Divine Comédie. Puis vient la puissante forteresse de Merle, ses tours et ses salles écroulées. Du haut de son promontoire, la citadelle se fait montagne, à l’image de Cavaillon et de son château des Évêques.

L’œuvre de Gaston Vuillier contribue à donner un nouveau visage au Limousin. À la douce Creuse s’ajoute désormais la dramatique Corrèze, présentant des paysages empreints de Sublime, et préparant la voie à un nouveau maître, Fritz Thaulow.

Mais la merveille de Beaulieu

Mais la merveille de Beaulieu, c’est l’église avec son portail d’une sauvage beauté. Quand je l’ai vue, le jour était sombre, d’épaisses nuées obscurcissaient le ciel.

La vieille basilique, au clocher d’allure guerrière, au portail où des figures singulières semblaient se mouvoir, m’a fortement impressionné.

Un Christ, grand comme une apparition, étrange comme les conceptions byzantines, est là, raide et sévère ; c’est bien le juge inexorable. Ce sujet ma…

Je quitte au jour tombant...

Je quitte au jour tombant cette ville ancienne [Beaulieu]; une diligence m’emporte, au bruit des grelots, aux cris du postillon. Je me dirige vers Argentat. La durée du trajet n’est pas bien grande : un peu plus de trois heures y suffisent ; la route, qui côtoie la Dordogne, est d’ailleurs ravissante.
On m’avait recommandé de faire le trajet de jour, mais quel charme elle a, cette nuit de septembre, douce et parfumée comme une nuit de mai !
Les nuées q…

À ce train vertigineux...

A ce train vertigineux nous arrivons bientôt au fond d’une étroite vallée, et j’aperçois la forteresse de Saint‐Geniès‐ô‐Merle.

Sur les dentelures d’une presqu’île rocheuse de 100 mètres de haut s’élève un amoncellement grandiose fait de donjons, de tours, de pans de murailles écroulées. Un lierre robuste rampe sur ces murailles, il les étreint et les ronge, des arbustes agités s’échappent des créneaux, des herbes folles tremblent sur les remparts, des pi…

Nous suivons des vallons...

Nous suivons des vallons encaissés veloutés de pâturages, les arbres sont noirs sous le ciel agité et les prairies d’une couleur d’émeraude intense : c’est d’un effet étrange et saisissant. A travers une déchirure des nues, quelques maisons se profilent un instant là‐haut, sur une cime. Puis nous nous enfonçons dans l’épaisseur des nuages, nous voguons dans une pâleur d’aube, et, ayant mis pied à terre, je ne vois plus ni la carriole, ni le conducteur. Plu…

Gimel...

Gimel est un romantique village, blotti à demi dans les feuilles sur une arrête rocheuse, avec un clocher bien simple, un blanc presbytère, les ruines d’un château fort, des toits de tuiles rouge, d’ardoises et de chaume où se balancent des corbeilles de sédums et de giroflées. En bas un torrent grondeur, fuyant sous les aunes, lui fait une ceinture irisée.
J’entrai dans une modeste auberge, « au Repos des Cascades », où me reçut une gracieuse hôtesse. Ell…

Un soir d’octobre...

Un soir d’octobre, à Gimel, tandis que nous causions au coin du feu, la porte s’ouvrit brusquement, et une sorte d’animal apocalyptique se dressa devant nous. Les femmes poussèrent des cris affreux.

L’énorme bête, demeurée sur le seuil, allongeait le cou, remuait lentement la tète, avançait, reculait, flairait le plafond, fouillait de son museau. Il était vraiment effrayant, ce fantôme, sorte d’animal de très haute taille aux formes bizarres, qui venait d…