J’avais quitté les froides hauteurs de la Corrèze où le vent soufflait l’hiver, j’avais revu Tulle et j’étais arrivé à Favars. Là je retrouvais l’automne avec des rayons tièdes encore et des fleurs. Cette journée restera comme un charme dans mon souvenir. Et d’ailleurs la compagnie aimable dans laquelle je me trouvais ajoutait un attrait aux jolies choses du chemin, au gracieux pittoresque de Favars, dont les maisons blanches scintillent au milieu de grands arbres, dans un vallon d’où surgissent les tours crénelées de l’antique manoir de Mme Aubryon. Favars a sa fontaine sacrée et ses sorcières qu’on va consulter pour connaître la source à laquelle on aura recours pour la guérison des malades, et surtout pour les enfants atteints de la « naudze ». Naudze, en patois limousin, me semble désigner l’état de langueur, quelle qu’en soit la cause, le cas d’un enfant, par exemple, qui ne peut plus « ni vivre ni mourir », comme disent les commères.

[…]

Grâce à la bonne intervention de Mme L…, femme aussi élevée par son intelligence que par son cœur, je consultai moi‐même la sorcière et je la vis opérer. Cette sorcière, Mariette Doronis, habite une chaumière dans un bois voisin de Favars. […] Mme L… lui explique le but de ma visite : un enfant malade pour lequel je désire connaître la fontaine sainte à laquelle je dois le conduire. Elle ravive le feu, dans lequel elle place quelques morceaux de charbon de bois de fusain ou de peuplier cueillis selon certains rites et avant l’aube, la nuit de la Saint‐Jean, et remplit d’eau un vase réservé à ce genre de consultation.

Et tandis que les charbons s’allument, elle se met en prière devant le foyer. Elle invoque les saints. Puis, un a un, elle prend avec ses doigts les morceaux incandescents et les projette vivement dans l’eau qui siffle et bouillonne, en leur donnant à chacun, au fur et à mesure, le nom du saint qui préside à une fontaine sacrée. Le vase est placé sur ses genoux, un léger mouvement qu’elle lui imprime agite l’eau. La Doronis murmure toujours des prières, et, tandis que certains de ces charbons tombent au fond du vase, deux d’entre eux restent à la surface. Ceux‐là vont indiquer les deux pèlerinages différents auxquels il faudra se rendre pour immerger l’enfant, si c’est une fontaine à immersion, ou le laver si elle est destinée aux ablutions.

Telle est la consultation de la braise.

Gaston Vuillier, « Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze », Le Tour du monde, n° 43, 28 octobre 1899.