Chazal, avec lequel j’étais en relations amicales, vint un jour me trouver, et, quoique personne ne fut là pour nous entendre, il me prit par le bras, m’entraîna dans un coin et, se penchant vers mon oreille, me dit mystérieusement, à voix très basse : « Venez ce soir à la forge, à 10 heures, on vous attendra ; vous frapperez trois coups. Gardez ceci pour vous seul », ajouta‐t‐il. Et il disparut. Évidemment, connaissant mon homme, je soupçonnais qu’il avait une chose particulièrement intéressante à me montrer. Je n’hésitai donc pas à répondre à l’appel qu’il m’avait adressé, et à 10 heures, je gravissais le chemin qui mène à la forge. Le village dormait, on n’apercevait aucune lueur.

Un aboi de chien jappant à la lune et l’éternelle rumeur du torrent, seuls, dans la nuit, montaient.

Arrivé à la forge, je frappe trois petits coups avec mon bâton ; la porte s’entr’ouvre et se referme aussitôt sur moi.

Le spectacle qui s’offre à mes yeux est étrange. Chazal, en manches de chemise, un lourd marteau de fer à la main, se tient debout devant l’enclume. Il paraît transfiguré, ses yeux brillent ; une rougeur inusitée colore son visage et ses mèches blanches flottent, lumineuses, autour de sa tête. Près de lui des femmes, couvertes de grandes capes sombres, déshabillent un jeune garçon maigre, presque exsangue, qui roule des yeux d’effroi.

Un vieillard, les bras nus, agite frénétiquement le grand soufflet qui va et vient avec rapidité, faisant un grand bruit rythmé. La forge entière est éclairée des reflets sanglants du brasier, tandis que dans l’ombre se meuvent confusément des silhouettes.

Chazal est toujours debout, immobile, grave, la main sur le marteau, ceint de rouge, illuminé par la flamme. L’enfant est nu, très pâle. Chazal murmure quelques mots d’une voix brève ; aussitôt l’enfant est étendu sur l’enclume, et, tandis que sa mère le saisit par le bras, une autre femme retient ses jambes et le forgeron de sa main gauche soutient sa nuque.

Un effroyable rugissement tout à coup fait trembler les vitres, en même temps le bras de Chazal se lève et s’abaisse ; le marteau frappe l’enclume avec violence. Le corps de l’enfant est tout secoué par des frissons. Sur son visage défait ses yeux terrifiés s’ouvrent, et de grosses larmes coulent le long des joues de la mère. Un autre cri sauvage retentit, de nouveau le marteau tombe sur l’enclume, dont les vibrations métalliques font tressaillir un instant la forge.

Le vieillard, environné d’étincelles, active toujours le foyer qu’il attise avec la pointe incandescente d’un fer. On eût dit qu’un grand vent de tempête passait et repassait sur nos têtes : c’était le bruit infernal du soufflet.

Chazal pousse un troisième rugissement plus effroyable encore.

Cette fois le marteau retombant s’arrête net au‐dessus du ventre du malade, puis doucement il vient frôler l’épiderme.

Aussitôt le soufflet infernal se tait, le brasier, recouvert de mâchefer, s’éteint.

L’enfant, épouvanté, est habillé à la hâte et emporté par les femmes.

Le vieillard a disparu. Chazal remet sa veste et s’en va. Stupéfait, je reste cloué sur place.

J’ai de la peine à me ressaisir.

La scène inouïe, fantastique, à laquelle je viens d’assister, m’a troublé au plus profond de mon être.

Gaston Vuillier, « Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze », Le Tour du monde, n° 43, 28 octobre 1899.

Gaston Vuillier relate l’expérience assez troublante à laquelle il assista, une nuit à Gimel, à l’invitation du metze Chazal.