Ainsi m’apparut la demeure du plus célèbre sorcier de la Corrèze. La réputation de Vauzanges, dit Nouné, s’étend jusque dans les départements voisins. De toutes parts on vient le consulter. L’imagination populaire lui prête des pouvoirs occultes extraordinaires. On affirme que, braconnant un matin, il fut surpris par les gendarmes qui se mirent à ses trousses, et, comme il allait être pris, il se retourna. On ne sait par quel prodige les gendarmes aussitôt s’arrêtèrent net, comme pétrifiés. Mais ce n’est pas tout : le sorcier s’assit sur un tertre, leva la main, et les gendarmes se prirent à danser, tournant sur eux‐mêmes, entraînés malgré eux en un mouvement de valse folle. Vauzanges, après les avoir considérés un moment, se leva, remonta sur sa cime voilée de nuées, et vers le soir seulement il redescendit pour les délivrer. Éperdus, haletants, les gendarmes s’en allèrent. Ils atteignirent Bugeat avec beaucoup de peine. Plus jamais ils ne cherchèrent noise au sorcier.

Ces histoires merveilleuses plaisent aux montagnards de la Corrèze, leur authenticité n’est jamais mise en doute. Ils deviennent plus graves encore en parlant des remarquables cures de Vauzanges. Le baron de Tarnac lui‐même, dont l’intelligence est haute, m’a montré sa main qu’un fusil en éclatant avait broyée et qui fut rapidement remise en état par le sorcier.

Le curé de Tarnac, que les superstitions ne touchent guère, me parla de sa nièce, que Vauzanges sauva en fort peu de temps d’une maladie grave alors qu’elle était abandonnée par les médecins.

Comme d’autres metzes limousins, Vauzanges arrête les hémorragies. Fréquemment les hommes s’entaillent avec la hache, quelquefois même très profondément, soit en coupant le bois, soit en émondant ou en abattant des arbres. On se hâte de transporter le malade, dont le sang jaillit avec violence, chez le sorcier. Celui‐ci fait autour de l’entaille des signes cabalistiques, répétés selon des rites secrets, marmotte quelques mots bizarres et le blessé aussitôt tombe en syncope. L’hémorragie miraculeusement cesse. […]

Un assez grand nombre de metzes limousins passent pour être doués de ces pouvoirs. Quelques‐uns, dont Vauzanges, savent aussi extraire par des procédés magiques le plomb qui a pénétré dans le corps dans un accident de chasse, par exemple ; et ces accidents sont fréquents, par suite de la maladresse des chasseurs. Le sorcier se borne à placer un plat d’étain ou de terre vernissée sous le membre touché, et, après qu’il a prononcé ses formules cabalistiques, par un simple signe les plombs un à un tombent dans le plat. Ce dernier fait, et l’efficacité des moyens dont j’ai parlé plus haut, m’ont été affirmés par des personnes peu crédules. Je n’ai jamais eu la bonne fortune d’assister moi‐même à ces opérations.

Gaston Vuillier, « Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze », Le Tour du monde, n° 43, 28 octobre 1899.

C’est en traversant la Corrèze, lors de ses excusions qui nourrissent son récit « Chez les magiciens et les sorciers de la Corrèze », que Gaston Vuillier rencontre le sorcier Vauzanges, un jour d’hiver entre Bugeat et Tarnac.