11 septembre. — Arrivé à Limoges vers onze heures, je m’installe pour la journée à l’hôtel du Grand Périgord ; je fais un déjeuner dont j’avais besoin après l’insupportable voyage. Je vois la ville, le musée, l’église Saint‐Pierre, la cathédrale, Saint‐Michel.

La cathédrale est inachevée, la nef manque. En général, les églises de tout ce pays sont d’une obscurité lugubre. Je me suis endormi dans la cathédrale.

A Saint‐Michel, près du musée, où je suis revenu en dernier lieu, j’en ai fait autant. Ces petits repos m’ont remis tout à fait.

Je me suis fait raser par un frater et suis venu dîner vers quatre heures et demie. Excellentissimes champignons, inconnus à Paris.

Je pars à six heures pour Brive. Dans le coupé, tête à tête avec un brigadier de gendarmerie, très convenable : tête superbe. Il me quitte vers neuf heures. Je passe une bonne nuit, tantôt dormant, tantôt voyant passer à la lueur des quinquets de la voiture le bizarre pays que je traverse… Uzerche, etc., que je regrette de ne pas voir de jour.

[…]

12 septembre. — Arrivé à Brive à dix heures. François était venu m’y chercher, et reparti.

Je parcours la ville, qui est très jolie ; l’église romane, où on a peint des cannelures et des caissons ; le collège ou séminaire, charmante architecture de
la Renaissance.

Je pars à midi et demi et suis à Crose vers trois heures ; je ne puis vaincre, tout le long du voyage, une somnolence extrême. Frappé de la vue de Turenne et de ses ruines. Beaucoup d’émotion en arrivant.

[…]

13, 14 et 15 septembre. — Tous ces jours jusqu’à dimanche, jour de mon départ, la même vie à peu près ; je suis seul, suivant mes habitudes, jusqu’au déjeuner. L’avant-dernier jour, le 15, je dessine une partie de la journée les montagnes, de ma fenêtre. Je dessine après déjeuner et par la chaleur le joli vallon où François a planté des peupliers ; je suis charmé de cet endroit ; je remonte par un soleil que je trouve cuisant et qui me fait toujours une impression de fatigue pour le reste de la journée ; je cueille avec délices quelques figues, quelques pêches ; bien entendu que je m’accuse de mes larcins.

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La négligence qui est partout dans ce pauvre Crose, et qui m’avait choqué d’abord, avait fini par me plaire : rien n’y ressemble à nos habitations d’aujourd’hui… L’herbe pousse où elle veut, la maison se conserve toute seule.

Promenade à Turenne un de ces jours ; la première fois, elle avait été marquée par l’événement de la fuite des deux juments, après lesquelles on avait couru longtemps. Le jour que nous y sommes allés, il faisait une pluie diluvienne ; j’ai été pourtant satisfait de cette excursion ; ce château perché sur le rocher, comme sur un piédestal, est tout à fait extraordinaire.

[…]

L’église de Turenne remarquable par un grand air ; sa simplicité et même son dénuement ne lui nuisent pas.

Journal de Eugène Delacroix, tome troisième : 1855–1863, Plon, 1893 (disponible sur Gallica).