Le château de Montbrun…

Élie Berthet | Le Château de Montbrun (1847)

Le château de Montbrun (Mons brunus) était une de ces vieilles forteresses dont les ruines, encore imposantes, attestent seules aujourd’hui la puissance de certaines familles féodales, éteintes ou dispersées. Il s’élevait au centre d’une contrée montagneuse et couverte de bois. Les abords en étaient difficiles ; sa situation à l’extrêmité de gorges et de défilés presque impraticables, eût permis à une poignée d’hommes résolus et familiers avec tous les accidents du terrain, d’y tenir tête à une armée entière. Grâce à cette circonstance, autant qu’à la force du manoir, le seigneur châtelain avait pu conserver son indépendance depuis le commencement de la guerre ; car les armées françaises ou les armées anglaises, qui tour à tour envahissaient l’Aquitaine, ne se souciaient pas de s’engager dans ce pays entrecoupé et dangereux, pour l’inutile satisfaction de réduire à l’obéissance un hobereau isolé, tel que le sire de Montbrun. […]

La forteresse était bâtie au centre d’une petite vallée entre deux montagnes. Ce désavantage serait irrémédiable pour un fort construit de nos jours, mais il était à peu près nul dans un siècle où l’usage des canons commençaient seulement à se répandre. L’une de ces montagnes, couverte de bruyères et de sapins, dominait les remparts, mais elle était hors de la portée des traits et des carreaux, qu’ils fussent lancés par une machine de guerre ou par la main d’un soldat. Le manoir lui‐même, fortifié d’après toutes les règles de l’art militaire à cette époque, formait un vaste quadrilatère flanqué aux quatre coins de tours élevées. Il était entouré d’un mur crénelé et de larges fossés auxquels un ruisseau sorti d’un petit lac voisin fournit, en toute saison, une eau limpide.

L’entrée principale faisait face au chemin tortueux et découvert qui s’enfonçait dans les bois. Elle était défendue par une tour plus haute et plus grosse que toutes les autres ; c’était le donjon ou tour du beffroi, au sommet duquel flottait la bannière armoriée du châtelain. En face, à l’endroit même où s’abattait le pont‐levis, s’élevait la barbacane ou corps‐de‐garde avancé, poste isolé, périlleux, toujours exposé le premier aux entreprises des assaillants ; aussi les murailles en étaient‐elles épaisses, solides, garnies de meurtrières. À l’entour de la barbacane étaient plantés d’énormes pieux appelés les barrières […] Du reste, l’architecture du château, bien qu’elle appartînt à diverses époques, était en général lourde et grossière ; la délicatesse, la légèreté particulières au genre gothique, étaient remplacées par la force et la solidité ; tout rappelait dans sa construction cette ère barbare où l’architecture grecque, importée par les Romains, avait disparu, et où l’architecture sarrasine n’existait pas encore. L’ensemble des bâtiments était massif et cependant majestueux.

Élie Berthet, Le Château de Montbrun, M. et P.-E. Charaire (Sceaux), 1875, p.11–12.

Le baron de Montbrun, en ces temps troublés suite au sac de Limoges, rentre en son château suite au pillage d’un convoi de vivres destinées aux moines de l’abbaye de Solignac, vol qui ne lui pose guère de trouble moral :

– […] Qui diable irait voir du mal à dépouiller ces gros moines de Solignac de leurs provisions de vivres, lorsqu’il y a tant de braves gens affamés dans mon manoir ? Les moines sont riches, ils se procureront d’autres chariots aussi bien chargés que celui dont nous nous sommes si galamment emparés. Allez ! allez ! ces frocards ne se laisseront pas mourir de faim…

Élie Berthet, Le Château de Montbrun, M. et P.-E. Charaire (Sceaux), 1875

Croisée en chemin, une troupe de cavaliers menés par le sire de Cachamp (attention aux faux semblants), dont la noblesse est attestée par le troubadour Gérald de Montagu (attention aux faux semblants, bis), est invitée par le sire de Montbrun. L’hospitalité du baron ne sera guère qu’à la hauteur de sa petitesse morale. Son château cependant se donne pour impressionnant, même s’il ne demeurera guère longtemps imprenable.