N’allez pas croire…

Delphine de Girardin | Lettres parisiennes (1843)

N’allez pas croire que tout le reste du pays soit aride comme notre poétique vallée. Il y a là de belles prairies, des champs cultivés. Du sommet de nos rochers déserts, on aperçoit de riants paysages. À notre droite, la ville de Bourganeuf élève ses brunes tourelles, et son vieux donjon, où le frère de Bajazet, Zizim, fut enfermé ; à gauche, la roche de Mazurat perce la nue et fait briller au soleil ses cailloux de cristal ; le Thorion, large ruisseau que nous trouvons paisible, nous, propriétaire d’un torrent, déplie en détours gracieux ses rubans d’acier ; et puis, en face de nous, s’étend sur vingt collines la superbe forêt de Mérignac, digne d’un cadre de tableau, sombre océan de chênes qui roule à l’horizon d’immenses vagues de verdure.

N’allez pas croire, non plus, que les habitants de cette terre soient privés de toute civilisation ; n’imaginez pas que cette petite ville de l’ancienne Marche soit très éloignée du moderne Paris. Elle est, au contraire, plus avancée en éducation politique, en littérature, en élégance, que bien des villes voisines qui font grand bruit ; et c’est le charme particulier de ce séjour, c’est ce mélange de mœurs champêtres et d’habitudes citadines, d’aspects sauvages et de plaisirs mondains.

Madame de Girardin, Lettres parisiennes, Charpentier, 1843, p.235.

Dans cet extrait elle dresse un tableau des beautés des environs de Bourganeuf et des curiosités de la ville avant de louer une ville « éclairée » politiquement et littérairement parlant, annonçant ainsi le constat qu’en fera, à la fin du siècle, Martin Nadaud dans un passage de ses Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon où il parle d’Émile de Girardin.